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Le Prix Nobel est-il un concours de beauté ?
sexisme et racisme à l'affiche


Action de La Meute, 15 août 2008

Une affiche des éditions 10/18 est diffusée dans des librairies françaises.
En haut, une photo en noir et blanc d'un buste de femme d'une soixantaine d'années, aux cheveux gris crépus. Elle porte un vêtement noir orné d'une broche. Elle a le regard vif, et elle sourit.
Au milieu, son nom : Toni Morrison, et un slogan (cité plus loin).
En bas, la couverture de six livres, Beloved, Le Chant de Salomon, Jazz, Paradis, Tar Baby, et Sula. Au milieu, à gauche, quatre fois plus grande que les autres couvertures, celle de Love, avec la mention « Nouveauté ».
Love étant sorti chez cet éditeur en mai 2008, il s'agit d'une affiche présentant l'ensemble des romans de Toni Morrison publiés par les éditions 10/18.

Toni Morrison, née en 1931, a reçu le prix Nobel de littérature en 1993. Elle fut la huitième femme lauréate ; c'est la seule écrivaine noire des États-Unis et la seule noire à avoir reçu ce prix. Son œuvre a pour thème principal les séquelles de l'esclavage des noirs aux États-Unis, ses horreurs, ses violences, y compris sexuelles.
On peut douter que les responsables de cette affiche aient jamais lu aucun de ses livres, puisque le slogan retenu est : « La Vénus noire de la littérature américaine. »

Certes, les couvertures les plus visibles sur l'affiche sont celles de Love et Beloved. « Amour », « Aimée » : ces mots suffisent-ils à justifier le lien avec Vénus, déesse de l'amour ? Faut-il voir une allusion à la « Vénus hottentote », exhibée en 1815 comme une bête curieuse pour ses fesses énormes ? Veut-on nous faire croire que Toni Morrison est une « bête de sexe », dont la gaudriole est le fonds de commerce ?

« La Vénus noire » : la presse française des années vingt et trente abusait de ce sobriquet à propos de la danseuse Josephine Baker ; des journalistes l'ont aussi employé pour la cantatrice Grace Bumbry.
Imaginez-vous une affiche vantant l'œuvre du Nigérian Wole Soyinka, seul noir africain lauréat du prix Nobel, avec ce slogan « L'Apollon noir de la littérature africaine » ?

Associer les mots « Vénus » et « noire », c'est renvoyer à des désirs et des fantasmes d'homme blanc. Les accoler à une femme réelle, Toni Morrison, c'est faire de cette écrivaine l'incarnation de la femme exotique et sensuelle, en un cliché répandu au temps des colonies, mais dont le contenu raciste et sexiste est inadmissible.


La Meute contre la publicité sexiste demande aux éditions 10/18 de cesser d'utiliser ce slogan sexiste et raciste.

Je vous invite à vous inspirer de ce texte (ou à en reprendre des passages), et à écrire, vous aussi, une lettre, moyen plus efficace que le courriel, à Jean-Claude Dubost, président-directeur général de UGE,
12 avenue d'Italie 75013 Paris France.

Sachez que les réactions négatives d'acheteurs potentiels sont toujours prises au sérieux par les responsables d'une entreprise ! Peu de gens, même indignés sur le moment, sont assez motivés pour aller jusqu'à écrire : les spécialistes de communication considèrent donc qu'un seul message de consommateur/trice en colère correspond à mille personnes furieuses mais n'ayant pas écrit. C'est dire quel poids aura votre lettre !
Si vous écrivez un texte différent, prière de l'envoyer à La Meute pour le site !

AUTRE LETTRE

Monsieur,
Vénus, déesse de la beauté était peut-être un hommage sincère à la beauté féminine...Nous femmes, noires, blanches, rouges ou jaunes, revendiquons à l'heure actuelle des hommages d'un autre type en dépit de la détestable habitude des "Miss Monde" et cie.
La romancière, Toni Morrison, écrivaine de talent, prix Nobel, et qui nous a tant éclairés sur la condition des femmes noires, entre autres, méritait mieux q'une publicité sexiste qui porte préjudice au geste intelligent de l'avoir publiée dans une collection accessible à un grand nombre de lecteurs.
Je vous demande si cela vous ferait plaisir d'être seulement présenté comme un 'Apollon sur la couverture d'un livre dont vous seriez l'auteur...
Arrêtez de chosifier la femme africaine comme vous l'avez fait pour les autres qui croyaient s'être fait comprendre à ce sujet.
Sans réponse de votre part, nous serons nombreuses à vous considérer comme un homme atteint de racisme et antiféminisme.
Ce n'est pas une « starlette » qui vous écrit, mais une femme de 74 ans qui a lutté toute sa vie pour avoir le droit d'être une femme à part entière et non une chose.
Salustations d'une femme, si elles ont de la valeur pour vous.
Anne-Marie Kibongui

RÉPONSE de M. Jean-Claude Dubost, PDG de Univers-Poche, datée du 5 septembre 2008 :

«
Notre interprétation de ce slogan est à l'opposé de la vôtre. Pour nous, Toni Morrison est une déesse au sens où une déesse - dans les mythologies occidentales - incarne et maîtrise une connaissance. Vénus incarne et maîtrise celle de l'amour. En associant le nom et l'image de Toni Morrison à Vénus, nous ne faisons qu'exalter une romancière qui, à l'instar de la déesse, maîtrise les mécanismes de l'amour. Étant noire de peau et américaine, il est juste de préciser qu'il s'agit de la Vénus noire de la littérature américaine, autrement dit d'un très grand écrivain noir américain dont les romans explorent les arcanes de l'amour. »

« Les arcanes de l'amour » ! Cette expression pourrait presque donner à penser que les responsables de cette affiche ont cru vanter l'équivalent états-unien de Madame de Lafayette ; en tous cas, ils reconnaissent avoir construit leur stratégie publicitaire sur des titres de Toni Morrison tels Love ou Beloved, en voulant faire croire qu'il s'agit d'une écrivaine comme tant d'autres, auteure de romans d'amour. Pourquoi pas un peu d'eau de rose pour essayer de faire passer un cliché raciste et sexiste ?

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