Prévention du cancer du sein (magazines, panneaux dans la rue, oct. 01)
+ Le Nouvel Observateur, 18-24 octobre 2001

voir le site www.cancerdusein.org
Pour écrire : anrb@club-internet.fr

voir aussi une autre publicité de prévention :

Photographie en noir et blanc de la tête et du buste d’une femme nue, de face. Elle est jeune : entre 20 et 30 ans, mince, avec une belle poitrine.
Slogan « L’année dernière, cette femme a montré ses seins. Elle a sauvé sa vie. »
De loin, dans la rue, le slogan ne se voit pas ; il faut s'approcher pour le lire. Ce qu’on voit très bien en revanche, c’est une femme à demi nue : s’agit-il de vendre un yaourt, une voiture ? Non, cette fois-ci, c’est pour une bonne cause : la prévention du cancer du sein. Est-ce moins sexiste pour autant ?

Même pour une « bonne cause », on instrumentalise le corps féminin, et on exhibe dans les rues des villes ce qui, habituellement, dans notre culture, est réservé à l’intimité, à la plage ou au cabinet médical : les seins nus.
Dans une campagne précédente, la femme qui posait semblait avoir au moins 40 ans, elle était habillée et se tenait le sein. On a voulu frapper plus fort, en montrant la poitrine d’une jolie jeune femme mince, ce qui va
1. aggraver les complexes de celles qui ne lui ressemblent pas
2. faire fantasmer tous ceux pour qui une poitrine nue fait penser à autre chose qu’au cancer.
La fin justifie-t-elle les moyens ? Inciter les femmes à faire un dépistage régulier est une cause louable, mais « vendre » ce comportement de prévention comme on « vend » un soutien-gorge est dangereux. Tout se vaut, tout est sur le même plan, si on utilise les mêmes méthodes de propagande pour la santé publique ou pour le commerce.
À quand une verge, des testicules, ou un anus avec le slogan : « Il a montré son sexe (ou son anus), il a sauvé sa vie » ? Ridicule ? Si le cancer des testicules, de la prostate, du colon sont dignes du même intérêt, pourquoi ne relèvent-ils pas du même traitement médiatique ? Parce que le corps des femmes fait mieux vendre ?
Les hommes aussi peuvent avoir un cancer du sein !

Lorena Parini, York (UK)
Sur une page entière l'Association Le Cancer du sein Parlons-en veut encourager les femmes au dépistage précoce. La pub met en scène une femme (jeune) torse nu avec le slogan "L'année dernière, cette femme a montré ses seins. Elle a sauvé sa vie." Or, si le dépistage du cancer du sein est important, je suis interpellée par l'ambiguïté de la photo et du texte. D'abord la jeunesse de la femme en photo n'est pas du tout adaptée au sujet car ce n'est pas à 20 ans que l'on fait un dépistage du cancer du sein. Mais plus que cela, le texte est ambigu ... que veut dire "elle a montré ses seins et elle a sauvé sa vie ?" Je me demande et je le demande aux autres femmes....

Lettre reçue le 18 mars 2002 d’un médecin qui préfère rester anonyme, et réponse d’une signataire du Manifeste "NON à la pub sexiste !"

Franchement, je suis de gauche, favorable à la parité et à l'égalité des sexes mais là, c'est vraiment n'importe quoi !!! Quand un féminisme pseudo-progressiste rejoint la bigoterie la plus réactionnaire, il y a vraiment de quoi être interloqué.
Je pense que l'excès même de vos propos et la caricature de féminisme que vous présentez desservent vos objectifs qui devraient pourtant être tout à fait honorables.
Le summum est tout de même atteint dans votre "dénonciation" de la campagne appelant au boycott d'une firme de lingerie exploitant les femmes birmanes ou de celle sur la prévention du cancer du sein. Si je me mets du côté des femmes, la priorité c'est bien d'éviter des souffrances et des morts inutiles : ce n'est sûrement pas avec une campagne "fleur bleue" que l'on réussira à inciter les femmes à se faire dépister. Et si le prix de cette efficacité doit être l'égratignement de votre pudibonderie, tant pis.
Avec un tel raisonnement, on en serait encore à montrer une abeille sur une pâquerette pour faire la prévention du SIDA ! Bonjour les dégâts...
Enfin, médecin travaillant dans des quartiers défavorisés, je pense que les femmes sont aujourd'hui victimes de discriminations et blessures bien plus graves.
On comprend peut-être un peu mieux ce décalage lorsque l'on voit les catégories socio-professionnelles des premiers signataires...

réponse d’une signataire du Manifeste "NON à la pub sexiste !", A. Périer (A.P.) (en italiques), avec commentaires du médecin, introduits par Dr
A.P.Docteur,
Je suis particulièrement habilitée à vous répondre, ayant été moi-même l'objet du dépistage d'un cancer du sein en octobre 2000. On m’a découvert un cancer et j’ai subi un traitement complet, ablation, chimiothérapie, radiothérapie. Je suis en phase de "reconstruction",comme on dit, et je vais bien. Je n'ai qu'à me louer de l'efficacité et de l'humanité de la plupart de vos collègues de l'Institut Curie.
Pourtant, Docteur, j’ai été horrifiée par la campagne de prévention exhibant aussi brutalement les seins nus d'une femme. Pourtant, la cause est juste.
Vous pensez sans doute qu'une campagne de prévention, pour être efficace, doit être frappante, et que montrer des seins nus est un bon moyen de frapper les esprits. Vous partagez donc sur ce point l'analyse des publicitaires et des vendeurs de voitures ou de yaourts...Cependant, ne pensez-vous pas que l'efficacité de l'image en question est limitée, puisqu'elle montre une poitrine féminine, une de plus, noyée dans le flot marchandisé de tous les autres seins partout étalés ? S'il faut chercher l'efficacité,et il faut la chercher dans ce cas en effet, pourquoi alors ne pas reprendre la campagne de prévention allemande, qui a fait grand bruit : étaler sur les murs une poitrine de femme ayant subi l'ablation des seins ? Effet-choc assuré! Et s’il est efficace de montrer la partie du corps à risque, pourquoi n'utilise-t-on pas des photos grand format d'anus, de pénis ou de testicules pour prévenir le sida ou le cancer du colon ? Les femmes (et leurs seins) bénéficieraient-elles en l'occurrence d'un traitement de faveur ?


Dr. Je ne suis pas publicitaire mais j’imagine que si des professionnels de la communication ont choisi de montrer des seins nus, ce n’était simplement par goût personnel mais parce qu’ils jugeaient (et on peut, a priori, leur faire confiance : ils sont payés pour ça) que ceci augmenterait l’impact. Quant à la campagne allemande : pourquoi pas ? Je suis assez favorable aux campagnes « choc » qui me semblent à même de frapper les esprits (dans le cadre de la prévention routière par exemple). Cependant, au vu de vos réactions concernant d’autres publicités, je doute que ‘La Meute’ ait davantage donné son aval à une campagne à l’allemande.
Il me semble que la fin des années 80 a vu l’existence de plusieurs campagnes (certes ciblées) où l’on n’hésitait pas à montrer des pénis en érection afin de prévenir le sida. Quant aux testicules ou à un anus, il me semble que nous serions là face à un problème plus esthétique que moral…
Il me semble enfin que depuis une quinzaine d’année, la mode des « seins nus » estivaux se soit largement développée (sans que les femmes n’y aient été contraintes) et que ceci ait largement désacralisé la poitrine féminine, ce qui n’est pas (encore ?) le cas des parties génitales.

A.P. Toujours à propos de la souffrance des femmes que vous avez choisi – et soyez-en remercié - de soigner, vous savez qu'il existe des blessures aussi graves que les blessures physiques : celles qui touchent à la dignité de l'être et à la profondeur de la sensibilité. Vous travaillez en milieu défavorisé, vous connaissez donc, chez vos patients, l'humiliation de la pauvreté et la rage d'être méprisé par ceux qui les regardent du haut de leurs richesses.

Dr. C’était bien ces blessures-là que j’évoquais.

A.P. Alors vous devriez aussi être en mesure de comprendre l'humiliation des femmes qui voient partout leur corps bradé et prostitué pour vendre des bêtises, leur corps utilisé, saccagé, embelli, enlaidi, déformé, allongé, raccourci, peinturluré, falsifié. Qu'on nous foute la paix, qu'on nous laisse être des femmes réelles, belles, moches, grandes, petites, jeunes, vieilles, diverses, et qu'on cesse de nous prendre pour des objets virtuels plus ou moins pornographiques!
Bigoterie,dites-vous ? Sachez que pour ma part, je suis athée et que je hais tout ce qui s'apparente de près ou de loin à une Église .La plupart des féministes n'ont rien à voir avec des grenouilles de bénitier !
Pudibonderie, alors ? Je suis tout sauf pudibonde, j'ai une vie sexuelle heureuse avec un homme que j'aime et qui m'aime (nous n'avons jamais cessé de faire l'amour, même pendant les traitements les plus durs). Il me semble que beaucoup de féministes sont comme moi, pas des coincées, mais au contraire des femmes qui revendiquent haut et fort leur droit au plaisir !
Mais sans-doute voulez- vous aussi suggérer qu'il y a de notre part un risque de dérive puritaine, et d'amalgame avec l'extrême droite (cf Mme Mégret qui dit : "Ni femmes à poil, ni femmes à voiles"). Ce risque existe, et les discours peuvent avoir des points communs, en apparence .Mais sur le fond, il ne peut pas y avoir de confusion .Les différences sont profondes et radicales : le moralisme de droite veut enfermer les femmes dans un rôle traditionnel (épouse, ménage, rôle subalterne, devoir conjugal), tandis que nous, les féministes, nous voulons vivre pleinement notre existence d'êtres libres et pensantes, en refusant d'être des choses à vendre, à utiliser, à exploiter, à consommer.


Dr. Peut-être que notre différence d’analyse vient précisément de là. J’ai le sentiment que votre combat est sous-tendu par une idée ‘supérieure’ de l’être humain en général et de la femme en particulier. Une idée qui voudrait la considérer comme un être exclusivement spirituel et désincarné, dont la composante physique, sexuelle, ‘génitale’ pour ainsi dire, devrait être maintenue dans la sphère privée car elle tendrait à nous ramener vers nos origines animales.
C’est en ce sens que je pense que votre combat peut se rapprocher de celui des bigots les plus réactionnaires. Certes, ces derniers désignent à la femme un rôle de femme au foyer soumise à son mari alors que, au contraire, vous désignez à la femme un rôle émancipé et socialement actif. J’ai néanmoins le sentiment que vous vous rejoignez dans votre rejet de l’aspect organique et sexué de l’être humain.
Votre action me semble participer à l’invasion du « politiquement correct » américain qui m’effraie et ne me semble pas constituer un facteur de progrès.
Je participe à des cercles de réflexion, j’apprécie l’échange d’idées et c’est sur des critères intellectuels, moraux ou spirituels que je fonde mes jugements. Néanmoins, je ne rejette pas cet aspect sexué et organique, j’accepte l’idée que l’on puisse être sensible aux charmes du sexe opposé (ou du même sexe d’ailleurs) et je comprends donc que les publicitaires puissent utiliser cet « argument ». Ou bien alors, c’est toute notre société de consommation et notre aliénation au système commercial dans son ensemble qu’il faut remettre en cause (cf. le combat des ‘adbusters’ anglo-saxons), mais il s’agit d’un autre débat.
Ce qui peut être choquant, c’est la différence de traitement entre hommes et femmes : pourquoi ne pas exploiter davantage à des fins publicitaires le corps de l’homme (les pubs pour les parfums et les sous-vêtements masculins sont à ce titre précurseurs…). Je connais parmi mes amies de nombreuses femmes qui n’y verraient aucun inconvénient…

A.P. Enfin, vous reprochez aux premières signataires de la Meute d'être des "bourgeoises". Et alors ? L’histoire montre que les grands courants de pensée progressistes sont nés dans des milieux cultivés. Mais ce n'est pas pour autant le cas de tous les membres de la Meute. Dans ma famille, tout le monde est enseignant, (mes parents l'étaient avant moi) et, par choix personnel, je travaille dans un collège difficile, où comme vous, je suis confrontée à des problèmes sociaux. Quant à mes amies de la Meute appartenant à des milieux socio-culturels favorisés, elles n'ont pas choisi leur naissance, et elles aussi,comme moi, souffrent de la discrimination dont les femmes sont victimes. Bourgeoises ou non,certaines d'entre elles subissent des violences diverses, en particulier conjugales ; vous savez bien, Docteur, que ces violences ne sont pas seulement le fait des classes défavorisées. Le machisme est équitablement réparti dans toutes les sphères de la population, dans toutes les cultures et sur tous les continents. Cela suffit pour que soient dépassés entre nous les clivages politiques ou sociaux traditionnels de cette république d'hommes. C'est en cela que le féminisme dérange : il est tellement plus fondamental que tout le reste...
Merci, Docteur, de m'avoir prêté attention.

Dr. Je serais mal placé pour dénoncer les « bourgeois », étant moi-même issu de la classe moyenne et gagnant aujourd’hui confortablement ma vie. Il est vrai également que de grands mouvements progressistes, voire révolutionnaires, ont été initiés par des personnes issues de la bourgeoisie. Ce n’était donc pas dans mon propos une insulte. Je pense toutefois que le milieu social dont on est issu et où l’on évolue biaise notre vision de la société. Pour prendre mon cas : même si je travaille avec des personnes défavorisées et que j’essaie d’appréhender et de comprendre leur quotidien, je le fais toujours avec mon œil de « bourgeois » et ma compréhension des choses restera nécessairement imparfaite.
Je reste donc persuadé que l’inspiration de votre combat est juste mais qu’il passe à côté de l’essentiel, que l’énergie consacrée à vous focaliser sur la traque des publicités ostensiblement ou secrètement misogynes pourrait être bien mieux utilisée.
Je reste également inquiet de la manière dont votre combat, que vous le vouliez ou non, pourrait être récupéré et exploité par les conservateurs.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de me répondre.