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Les stéréotypes sexistes dans la presse, la publicité et la communication
par Elisa Jandon Intervention prononcée lors du colloque « Lhomme est-il une femme comme les autres les identités homme / femme », nov. 2002
« Je suis la femme, léternelle, celle dont on voit tant et plus le soutien gorge de dentelle passer sur tous les autobus. Mon collant va bientôt vous plaire. Mes fesses au niveau de vos yeux, quant à mon slip il prolifère dans le métro cest merveilleux » (Mes mystères, Anne Sylvestre, 1978)
1978 : cette chanson date de 1978. Cest une des constantes de la lutte anti-patriarcale : presque rien ne bouge, les analyses continuent dêtre valables dannées en années. Souvent en retrouvant un tract de ces fameuses années MLF, on se dit que seule la présentation (tapée à la machine à écrire, reproduite au stencil) laisse deviner leur date.
Faire référence à une grande sur en féminisme, cest aussi combattre le syndrome de lannée zéro. Car cest lun des stéréotypes les plus nuisibles : le féminisme naurait pas dhistoire. Toute femme en révolte contre sa condition serait la première et bien isolée.
Les stéréotypes qui sont, du point de vue féministe, sexistes sont véhiculés partout et tout le temps. Et pourtant le corps social réagit et apprend à décoder. Depuis le temps quon dénonce lutilisation du corps, tout le monde sait que limage na rien à voir avec le produit et quon cherche « simplement » à marquer les esprits. La publicité joue plus sur la provocation et leffet médiatique que sur le mérite du produit.
Une utilité politique et sociale plus quéconomique ?
La pub naurait pas dutilité. Les sondages dopinion peinent à prouver limpact de la publicité sur les comportements dachats. Or dans un contexte de mondialisation, tous les grands groupes couvrent plusieurs secteurs économiques et font appel massivement à des professionnels de la communication donc rien nest innocent. Du temps dune plus forte emprise de lEglise sur la société, les sermons avaient pour fonction de donner les grandes lignes dorganisation de la société. Maintenant les stéréotypes jouent comme des messages subliminaux à longueur de temps. Ces messages relaient une contrainte sociale forte : la pérennité de jeux de rôles sociaux. Ces rôles sociaux agissent comme une identité symbolique quon endosse au-dessus de la sienne propre afin de correspondre aux stéréotypes du genre ou sexe social auquel on appartient. Les hommes doivent tous être grands, forts, intelligents, père (pour prouver lauthenticité de sa virilité), ayant la maîtrise de largent, la politique et léconomique, puissants voire violents. Les femmes doivent toutes être plus petites, faibles, soumises, mères (parce que faites pour), ayant en charge le ménage, les soins enfants, aux personnes âgées et aux blessés, douce et compréhensive.
La presse, la publicité ou la communication en général mettent donc en uvre des stéréotypes. Les corps et les sexualités (ensemble des phénomènes sexuels ou liés au sexe) sont considérés comme des produits qui se vendent ou sachètent ; et ce, dans un contexte où les moyens de production et déchange sont possédés en propriété privée et où le but final est la recherche du profit. La société capitaliste ainsi décrite profite dun système doppression sociale et juridique basé sur la soumission des femmes : le patriarcat. Car plus que le sexisme, il faut souligner que cest bien un système qui uvre et relie tous les aspects dune oppression quon peut identifier comme étant la même. Les stratégies de domination patriarcale passe par la division, lisolement. Comme dit en introduction, loubli des luttes incessantes des femmes est là pour décourager les contemporaines et les rediriger vers leur poste de télévision.
Le holisme autoritaire
Le capitalisme est régi par des règles simples : tout se vend, tout sachète. Cest la loi du marché, loffre ne fait que répondre à la seule demande solvable.
Dans ce contexte, la marchandisation des corps et des sexualités recherche le profit inhérent à la logique du capitalisme. La majoration des profits appelle lutilisation de la publicité. Une des constantes de la publicité est lutilisation de corps « érotisés », féminin surtout, comme argument de vente. Cette utilisation ne serait pas aussi constante si elle nétait aussi efficace. Faut-il donc comprendre quun achat est obtenu contre une sollicitation sexuelle ? En tous cas, la pulsion sexuelle est considérée comme à la base de lachat, et les ressources majoritairement masculines (80% des pauvres sont des femmes). Notons aussi quen vertu du « plafond de verre » qui empêche la progression professionnelle des femmes, les publicistes et leurs clients sont presque exclusivement des hommes.
Statistiques à la louche dans différentes revues
FHM (magazine masculin de loisirs) : 200 p dont 50p de pub. Les enfants sont absents des pubs. Les 3 thèmes de pub les plus fréquents sont : jeux, parfum, vêtement.
Cosmopolitan (magazine féminin de loisirs) :230p dont 100p de pub. Les enfants apparaissent sur deux pub : gâteau minute où la mère est réduite à ses mains et voiture « vous aussi vous rêvez dhabituer vos enfants au luxe » (le permis de conduire et la voiture étant des symboles historiques de laccession à lautonomie pour les femmes). Sans surprise le trio de pub est produits de beauté, parfum et accessoires
Le Soir (1° quotidien belge généraliste)
En une, lannonce du dernier film de la cinéaste belge Chantal Akerman mais limage est réservée au duo père fille Klijsters, la gloire de cette tenniswomen revient à son père ! Aucun sujet ne traite des femmes, mais Le Soir compte dans son équipe trois grands noms féminins du journalisme : Colette Braeckmans, Bénédicte Vaes et Martine Vandemeulebroeck, qui signent des articles dans les premières pages. Dans le supplément loisir Victor, on retrouve les même pubs que dans les magazines de loisirs notamment une pub pour la vodka qui vante leffet désinhibant de lalcool (la femme enlève le rembourrage de son soutien-gorge), substance classée dans les drogues dures, rappelons-le.
La Libre Belgique (quotidien généraliste propriété de lEvêché de Namur). Les femmes sont convoquées en tant quexpertes ponctuelles. Les images représentent des femmes accessoires (tient la photo dun opposant, ramasse les papiers dans une salle de conférence). On trouve la première signature féminine sous la plume dune grande reportrice à laquelle ses collègues masculins ont permis de se faire tirer dessus pour son sujet sur la culture de la coca. La seule pub destinée aux femmes est celle dun magasin de robes de mariées.
La sexualité des dominants, nourrie dautoritarisme et présentée comme majoritaire, se trouve dotée dune fonction sociale : lapprentissage et lhabitude de la soumission (notamment à travers la répétition de corps en position dattente ou agi ce qui est le cas dans presque toutes les pub de parfums). En parallèle de luniformisation des modes de vie, se construit ainsi une uniformisation de lérotisme bien pratique car plus propice à laugmentation des profits dans une logique de production en série.
Les corps présentés sont le plus souvent morcelés (les parties manquantes étant fréquemment la tête, les mains, les pieds), en position dattente, frêle, leurs zones sexuelles primaires ou secondaires exposées parfois plus que le produit vendu. Ainsi est renforcée lidée que le corps dune femme peut être mis en jeu dans un acte dachat ou de location. Dans la logique capitaliste, nexiste donc que le profit et sa recherche quels que soient les clients, la demande et les produits.
Conclusion
Tous ces exemples, ces tentatives dexplication et lenvironnement publicitaire omniprésent me renvoient à la notion de stigmate. En effet, que ce soit dans la grossesse (ce sont les femmes qui tombent enceintes), la prostitution (visibilité des prostituées, invisibilité des clients), le marquage religieux (voile pour les filles, nike pour les garçons), les viols de guerre (les femmes bosniaques se sentaient coupables) ou de paix, les signes extérieurs de richesse (certaines femmes portent des tuniques qui peuvent peser 20 kg), le problème de la garde de lenfant fait à deux parce que maman travaille et non pas parce que papa et maman travaillent, limportance de la maison bien tenue par la mère épanouie dune famille unie (santé mentale symbolique), ce sont les femmes qui sont en première ligne. Chaque fois quil y a crispation ou offensive, cest sur le corps des femmes que les enjeux se nouent.
« Mais bientôt enfin je serais vieille, vous ne mimaginerez plus, je nen aurais plus rien à faire de mon mystère. On ne mettra plus en vitrine ni mes dessus ni mes dessous, jaurais enfin pauvre poitrine des varices et le ventre mou, je me vautrerai dans mon âge je boufferai nimporte quoi sans quon memmerde à chaque page avec tout ce quil ne faut pas » Ceci est le dernier couplet de la même chanson dAnne Sylvestre. Les stéréotypes, cest ce quon nous montre et aussi ce quon cache, ignore, annule. Cest des femmes vieilles, actives sexuellement, avec un handicap, lesbienne, autre que blanche occidentale. On montre surtout petites filles africaines rigolotes avec leurs tresses alors que la représentation des asiatiques (la population chinoise dépasse le milliard dindividu) est quasi nulle.
Ces stéréotypes relaient abondamment le discours patriarcal sur le désir des hommes et le corps des femmes, mais quen est-il des désirs des femmes et du corps des hommes ?
Dun point de vue patriarcal, lindividu na aucune valeur pour soi mais une valeur relative et collective: il doit se fondre dans le rôle social que son sexe biologique lui a assigné sinon cest la répression sociale qui se met en route, lexemple le plus marquant étant celui des homosexuels (qui subissent des viols punitifs commis par des hétérosexuels se prouvant ainsi leur virilité).
De ce point de vue, lhomme qui cherche à défaire son comportement des attributions masculines (travailler moins pour sinvestir plus auprès de ses enfants, faire un métier de femme, soutenir les femmes ostracisées dans les milieux traditionnellement masculins), ces hommes là oui sont des femmes comme les autres. Lune des stratégies les plus vieilles et toujours efficaces, cest de diviser pour régner. Lhistoire compte des épisodes récurrents de femmes qui mettent au point des stratégies de solidarité. Ca fait des siècles quon vous attend. Alors, messieurs, le MLH, cest quand vous voulez !
Elisa Jandon
http://users.skynet.be/fa372731/ecritsAF/Stereotypessexistes.htm
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