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L'homme nu, verge visible, dans la publicité

À propos de la pub Yves St Laurent et de la nudité masculine en général. Et digression sur le désir. Féminin.
[suite à la lecture de la page "Un homme nu dans Le Monde" du site de la Meute] Bizarrement, la publicité pour le parfum Yves St Laurent représentant un homme nu ne me choque pas. Mais attention: je n'en ai vu qu'une reproduction en petit format, et parce que je le voulais bien. Je ne pense pas, par contre, que j'aurais apprécié de croiser une telle nudité masculine, si esthétique ou affriolante soit-elle, à l'improviste, en 4 par 3 dans le métro matinal, pile entre le petit déjeuner et les premières heures de boulot...
Tout dépend du contexte. Et surtout, ou plutôt, du respect de mon désir.
En tant que femme hétérosexuelle, j'aime les hommes, et leur plastique, et leur nudité, même intégrale. Je me régale volontiers de la vision du corps masculin. Cette régalade ne peut avoir lieu que si je choisi librement de m'y adonner. Des pubs représentant des hommes nus un peu partout dans les rues? je suis contre. Mais, je suis pour, radicalement pour, la visibilité du corps masculin nu.
Voici certaines choses qui me choquent : l'écœurement qu'expriment certaines femmes de mes amies, lorsqu'au détour d'une conversation on en vient à évoquer, les hommes, l'homme et en particulier son anatomie. J'ai toujours été stupéfaite d'entendre des femmes affirmer, avec la moue de dégoût qui va de pair, que "un homme, c'est laid". Comment font-elles, avec une telle conception (du moins pour celles qui sont en pratique hétérosexuelles) pour tolérer une telle "laideur" contre leur propre corps? Les années ont passées, j'ai grandi, et je demeure perplexe.
Si la discussion se poursuit sur ce sujet, une autre affirmation survient en guise d'explication: "La beauté est féminine". Idée servie à grand renfort d'exemples issus de l'histoire de la peinture ou même de la publicité. Je n'y comprends rien, moi qui n'éprouve que peu d'intérêt quant à l'anatomie et à la plastique féminine.
C'est là, que soudain, rien ne va plus: je ne suis pas normale! Il paraît aussi que les hommes réagissent davantage aux stimuli visuels tandis que les femmes sont plus sensibles à ceux olfactifs et tactiles... Et moi alors, si j'aime voir, que suis-je? Si je me risque alors à évoquer ma régalade quant à la vision d'un nu masculin, des sourcils se lèvent, des yeux s'exorbitent, et me voici tacitement cataloguée perverse voyeuriste, obsédée sexuelle, etc... On ne m'y reprendra plus: je me tais et dissimule ma tare. Et j'observe autour de moi.
Je cherche des nus. Pour comparer. Peut-être n'ai-je pas bien regardé les femmes. Peut-être sont-elles effectivement de toute beauté. Et soudain je ne vois que ça: des femmes, à demi-nues, nues, en veux-tu en voilà, placardées partout dans les rues, les couloirs du métro, les kiosques à journaux, dans tous les formats, en pied, de face, dos, profil et même en gros plan... Pas une journée ne se passe sans que je croise malgré moi des yeux un peu de cette chair féminine exhibée. D'homme nu, point je ne vois. Point d'autre que celui qui partage joyeusement mon lit. D'hommes nus, de diversité, d'altérité, soudain, je manque, cruellement.
Je n'en peux plus, n'en peux plus, de cette débauche de peaux, de chairs, de corps de femmes (corps auquel j'appartiens) représenté, démultiplié, fragmenté, étalé partout à la vue de tous, hommes, femmes, jeunes, vieux, enfants. Mon corps de femme, je ne l'ai que trop vu. Je le connais par cœur, non seulement parce que je le vis au jour le jour, mais parce qu'on me le montre au jour le jour, me le remet sans cesse sous le nez, impossible d'y échapper! C'est une réelle souffrance visuelle. Mais plus grande encore est cette souffrance, celle du manque que je ressens: l'autre me manque. L'homme en tant qu'autre, différent. Son corps me manque. La diversité me manque.
Voilà à quelle aberration j'en suis : si je ferme les yeux et que j'essaye mentalement de me représenter un homme dans le plus simple appareil, je n'ai qu'un machin flou qui se forme dans mon esprit, auquel viennent irrésistiblement se fondre d'absurdes fragments de corps quant à eux bien nets, mais insupportablement féminins (incontrôlables réminiscences de mes visions de la journée).
Avec une telle incapacité à concevoir l'objet de mon attirance naturelle, que devient mon désir? et mon plaisir? Si j'osais, je dirais que les publicités et les magazines féminins entretiennent les femmes dans une auto-contemplation d'elles-mêmes qui relèvent du narcissisme masturbatoire et qui les prive de l'accès à l'altérité et au plaisir partagé. Au plaisir tout court.
Les femmes dans la publicité: je sature. Qu'elles soient représentées sous n'importe quel prétexte, voire de façon dégradante ou à l'inverse, à propos, avec respect: je sature. L'absence d'homme est ce qui me rend tout cela proprement insupportable.
Attention, qu'on ne s'y trompe pas: je n'appelle pas de mes vœux le placardage d'affiches exhibant autant de chair masculine que féminine.
Non-non. Je voudrais simplement être libre. D'aller admirer de belles sculptures d'éphèbes grecs au musée quand ça me chante. Eventuellement de pouvoir acheter une revue avec d'artistiques photos de nus masculins (cela existe-t-il seulement?). De ne pas voir de chairs, de peaux, de nus, ni féminins, ni masculins, à tout moment, quand je ne m'y attends pas, quand je ne le souhaite pas. Libre dans mon désir. Libre de choisir. Libre d'être une femme qui préfére les hommes. Libre d'être une femme. Libre tout court.
Romy Duhem-Verdière, 4 décembre 2002

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