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Interview de Florence Montreynaud

…publiée dans Culture Pub Magazine, n°4, mai-juin 2001, avec des commentaires sur six pubs sexistes.

Texte intégral de l’interview de Florence Montreynaud publiée dans Culture Pub Magazine, n°4, mai-juin 2001 pp. 40-41 (propos recueillis par Soazick Carré-Hoff)

Fondatrice et présidente des Chiennes de garde (1), Florence Montreynaud a été amenée à démissionner en mai 2000, en raison de dissensions internes sur la stratégie à mener. Historienne (2) et féministe engagée depuis trente ans, elle a, en septembre 2000, lancé La Meute, un réseau contre la publicité sexiste.

Culturepub : Pourquoi avoir créé ce réseau prenant comme seule cible la publicité sexiste ?
FM : Dans les demandes adressés aux Chiennes de garde, une lettre sur trois nous pressait d'intervenir contre la pub sexiste. Cela fait trente ans que je travaille sur ce sujet. Par rapport au Canada ou à l’Europe du Nord, notre pays si machiste est très en retard, car la publicité est à la mode, notamment chez beaucoup de jeunes. Les féministes françaises ont surtout concentré leur énergie sur des violences réelles (avortement, viol, harcèlement sexuel), alors que la publicité sexiste relève de la violence symbolique. En même temps, la publicité est souvent l'un des premiers motifs de révolte quand un groupe féministe se constitue, parce qu’elle présente le grand livre d'images du sexisme ! C'est à la fois l’instrument d’une propagande à laquelle personne ne peut échapper et un matériau qui aide à analyser les rapports humains, et leur représentation, dans notre société.

Culturepub : Quels sont vos objectifs ?
FM : Avec la Meute, j'ai voulu construire un droit de légitime réponse. Les publicitaires envahissent notre espace avec leur discours totalitaire, et les personnes qui le refusent ont comme seul droit de ne pas acheter. Nous analysons les publicités sexistes, avec des critères touchant à la sexualité et au sexisme. L'objectif principal n'est pas d'appeler à la censure, mais de responsabiliser les décideurs, c'est-à-dire les annonceurs et les médias, et de faire prendre conscience des dangers du sexisme. L'essentiel de notre travail est pédagogique, à travers les Meutes locales qui se réunissent régulièrement dans seize villes de France pour réfléchir, identifier les problèmes et préparer des actions. La Meute a déjà lancé quatre actions et chaque fois elle demande à l'annonceur de prendre un engagement : ne pas utiliser d'éléments sexistes dans sa prochaine campagne. Exemple : après une intervention des Chiennes de garde contre la pub Nomad avec la poupée gonflable, la direction de Bouygues Telecom avait annoncé qu’elle regrettait " cette erreur " et qu’elle prenait des mesures pour que cela ne se reproduise plus.

Culturepub : Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de mener un combat d'arrière-garde ?
FM : On me traitait déjà d'ancienne combattante en 1978 ! Être féministe, c'est demander que les femmes et les hommes soient égaux en dignité et en droits. Or ce que montre la publicité, c'est trop souvent une représentation dégradante des femmes, ou des rapports entre hommes et femmes. Tolérer cette violence relève d’une responsabilité politique collective. Dans les pubs sexistes, il n'y a pas que la nudité ou la sexualité, il y a aussi des stéréotypes sexistes. Exemple : celle pour une levure, avec la petite fille disant à sa copine qu'elle va lui montrer comment on fait pour plaire aux garçons : en faisant un gâteau ! Alors non, les féministes ne peuvent pas encore se reposer….

(1) Florence Montreynaud vient de publier un livre, Bienvenue dans la meute ! (La Découverte) pour raconter l'histoire de ce mouvement et répondre à 100 objections qui ont émaillé son parcours à la tête de l'association.
(2) Elle est notamment l'auteur de l'encyclopédie Le XXème siècle des femmes (Nathan)
La Meute Maison des femmes, 163 rue de Charenton 75012 Paris
http://lameute.org.free.fr

Campagnes de pub choisies
les objections de Florence Montreynaud

Magnum
"Cette pub utilise un morceau de corps humain, et se sert de la sexualité en faisant allusion à une érection, tout cela étant sans rapport avec le produit. Le sexe est ici pure consommation. L’image peut faire penser à une fellation puisque le bout de la barre est entamé et qu’on voit du blanc à l’intérieur. Or la fellation étant de plus en plus citée comme une pratique de viol, on peut y voir une invite à la violence sexuelle. Beaucoup de gens ressentent un dégoût face à cette pub, en raison de l'association fréquente de l'entrejambe d'une femme à des odeurs, à des sécrétions, auxquelles on mélange ici de la nourriture. Ce morceau de corps relève de la tendance androgyne de la pub : une personne sur dix y voit un corps d'homme. Et que veut dire le slogan " elle fera de vous un homme " ? En quoi manger du chocolat glacé peut-il aider à devenir un homme ? N’est-ce pas plutôt retrouver un plaisir de l’enfance, et ne veut-on pas ainsi infantiliser les jeunes hommes ? Cette pub correspond aussi à un autre critère sexiste, qui est l'imposition de normes : ce corps mince peut donner des complexes, alors qu’on sait bien que manger des glaces et du chocolat n’est pas le meilleur régime ! Cette image fait l’objet de l’action n°4 de La Meute".

La City
"Voilà la femelle à quatre pattes, presque nue, les mamelles pendantes comme la louve romaine, dialoguant avec un mouton, animal à la bêtise et au conformisme légendaires. Le mouton tend l’oreille, ce qui laisse supposer que le QI de la fille égale celui de l'animal dont elle imite la position. Cette posture ramène ses désirs au niveau d'un animal, et est aussi un cliché de la pornographie. En outre, la mannequin est tellement maigre qu'on peut lui compter les côtes. De toute cette série, c'est le visuel qui me semble le plus violent, à cause de cette représentation dégradante et de l'utilisation de la nudité et de la maigreur".

Opium
"C'est verticalement que cette pub est la plus absurde et agressive pour les femmes qui sont debout à côté, à l’arrêt de l’autobus, et qui rentrent du travail fatiguées. Cette femme donne à voir une jouissance intense, peut-être due à la drogue, comme le laisse penser le nom du parfum, ou plutôt d’ordre sexuel. Il s'agit apparemment d'une jouissance solitaire, mais on peut imaginer que cette femme jouit pour le regard de l'autre. Et nous, si nous ne sommes pas voyeuristes, cet exhibitionnisme nous dérange, nous gêne. La femme se pince le sein en renversant la tête en arrière et en ouvrant la bouche. Tout cela induit un effet de modèle en imposant des normes, ce qui est grave dans le domaine de la sexualité. J'imagine les conséquences : des jeunes femmes vont penser que pour jouir, il faut avoir des talons aiguilles, obsession et cliché de la pornographie. Et parmi celles qui ont dépassé l'âge de ce modèle, au corps blanc, sans un poil ni un bourrelet, combien vont penser : moi qui ne suis pas aussi jeune et belle, je n'ai pas droit à la jouissance. Pendant la première vague de cette campagne, j’ai reçu des confidences de femmes à qui, pendant l’amour, cette image s'était imposée, parasitant leur plaisir. Le traitement très esthétique de la photo ajoute au sentiment d’inaccessible. Utiliser quelque chose de beau et d'artistique pour vendre, c'est mettre l’art au service du commerce, c’est prostituer la beauté. Ma seule indulgence pour cette pub tient au fait que la mannequin, quand elle s'habille, porte des vêtements au moins de taille 42! "

Aubade
"Presque toutes les féministes que je connais sont choquées : pas moi, car je dois bien constater que cette campagne me plaît, malgré mes critères de jugement objectifs ! (Cela ne m’amène pas jusqu’à acheter ces sous-vêtements !) Je trouve cette série spirituelle, avec des consignes de séduction qui me font penser à l'érotisme et au libertinage du 18ème siècle. Certes, elle indigne beaucoup de signataires de La Meute, et je ne réagis ici qu’en mon nom. Toute image liée au corps ou à la sexualité renvoie chaque personne qui la regarde à ses schémas mentaux, à son vécu, à ses interdits. Aubade doit bien résonner avec mon inconscient !"

Kookaï
"C'est l'inversion du modèle de domination machiste. Les publicitaires croient que c'est ce que souhaitent les féministes ou les femmes en général : ils les représentent ici comme des géantes avec des hommes miniatures. Croire que les femmes veulent inverser les rôles relève de l'argumentation classique des anti-féministes. Cette pub est particulièrement désobligeante pour les hommes, présentés comme des débris, des salissures. Comment peut-on ainsi dégrader les hommes en croyant que c'est ce que les femmes souhaitent ? Le slogan "Sauvons les hommes" les présente comme une espèce en danger : encore une interprétation classique des misogynes face aux demandes d’égalité des femmes".

Babette (deux visuels, en avril 2000, et en avril 2001)
"Cette publicité m'a souvent été signalée par des femmes victimes de violences conjugales. On ne devrait pas utiliser la violence faite aux femmes comme un argument commercial. Or voici la représentation d'un homme, avec de grosses mains et de larges épaules, entouré par des ustensiles de cuisine, qui peuvent aussi servir à torturer, et ces mots : "Babette, j'en fais ce que je veux", expression employéee seulement pour des objets ou pour des personnes soumises par des violences soit physiques, soit psychologiques. Le directeur commercial de la marque prétend que le corps est celui d’une femme. Quant à l'argument selon lequel il ne s'agit là que d'inoffensifs ustensiles de cuisines, c’est ne rien connaître à la violence conjugale… Le fait que le produit porte un prénom féminin, qui est celui de milliers de femmes en France, renforce l'idée d'une incitation à la violence sur une femme. La Meute a choisi une autre action pour le mois de mai, car nous savons que les responsables de cette crème ont cherché à nous provoquer, en espérant que nous réagirions, ce qui ferait parler de leur produit".

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